Après une nuit insomniaque dans l’aéroport de Francfort, où une très longue escale m’a permis de bien connaître le terminal, je suis arrivé en Pologne.  La ville de Wroclaw dans le sud-ouest du pays ne fait pas aussi métropole que Paris.  Déjà je me sentais dépaysé, mais il y avait encore beaucoup plus de dépaysement à venir.  J’ai trouvé la station d’autobus où l’anglais et le français ne servaient à rien mais où une langue remplie de consonnes fortes résonnait.  C’est avec cette langue sonore que le conducteur de car m’a accueilli quand j’ai essayé d’acheter un billet.  Il faisait de son mieux pour communiquer, et moi de même, mais le message n’a jamais fait mouche.  Néanmoins le billet était acheté et je me suis installé.  Le car allait à Jelenia Gora qui est une encore plus petite ville, c’était là où mes vraies aventures commenceraient.  Le car a démarré.

En regardant par la fenêtre, le paysage passant sous un ciel grisâtre, je réfléchissais à ce que j’étais en train de faire.  Voilà deux mois que je m’étais inscris à l’organisation WWOOFing (World-Wide Opportunities on Organic Farms) et un mois que j’avais décidé de passer mes vacances de printemps dans une ferme polonaise. Pour ceux et celles qui ne la connaissent pas, WWOOFing est une organisation (un peu comme le troc mais davantage bio) qui vous permet de d’avoir accès à une façon de vivre que vous ne connaitriez jamais autrement.

Bref, vous bossez dans une ferme avec des fermiers, ou dans une famille ou un groupe qui font ce type d’éco-tourisme, qui vous fournissent le logement et les repas et vous vous les fournissez en travail gratuit.  Mes buts pour cette expérience rustique étaient 1.) découvrir une nouvelle culture, voir des choses et des lieux que je n’avais jamais vu 2.) apprendre l’histoire polonaise, ma famille est d’origine polonaise mais on ne sait pas grand chose 3.) voir la nature sauvage (à Paris on n’en voit que des pigeons et des SDF) 4.) faire du travail manuel, c’est aussi bien pour l’esprit que le corps et 5.) voyager sans me mettre à sec…deux semaines de vacances avec un budget d’étudiant, ça fait vider le portefeuille et en plus je n’avais plus envie de rester dans des auberges, de manger toujours sur le pouce…ça use, le tourisme, ou je vieillis peut-être…

Deux heures plus tard, le crépuscule tombait, les rues étaient devenues des lacets montant et redescendant des montagnes, les bâtiments par lesquels on était passé sont du genre XIXe siècle, de la fumée sortant de chaque cheminée. Enfin on s’est arrêté au terminus, une petite station qui donnait sur des champs de paille. On avait prévu, moi et le fermier, qu’il veindrait me chercher à la station, mais, le seul problème, je n’avais jamais vu cet homme donc je n’avais aucune idée de qui il était.  Après avoir abordé cinq ou six types, une bagnole rouge couverte de boue s’est arrêtée près de moi, et voilà c’était lui.  Il était très gentil mais on n’est pas entré dans une grande conversation…lors des préparatifs, il avait été mal communiqué que je ne parle point le polonais et lui et sa famille n’étaient pas tout à fait bilingues.  Alors pendant la route vers la ferme, j’en ai profité pour admirer tranquillement le beau paysage sous le ciel étoilé.  En arrivant à la ferme, sa beauté simple et naturelle m’a bouleversé : elle était située dans les montagnes qui, comme j’apprendrais plus tard, étaient des volcans anciens ; il y avait quatre bâtiments en pierre autour d’une cour ; dans la distance j’ai pu juste apercevoir les champs où j’allais bosser le lendemain dès que le soleil se lèverait.

En entrant dans la maison, trois gigantesques chiens m’ont immédiatement aboyé la bienvenue.  J’ai rencontré la mère de la famille et sa fille qui avait le même âge que moi. Elles étaient aussi gentilles que le père.  On a dîné, c’était un plat qui me reste à ce jour inconnu, mais c’était excellent. Et ce dîner a marqué le premier de beaucoup d’excellents repas, mangés autour d’une vieille table et à côté d’un poêle au bois…dans une ferme on travaille bien et on mange encore mieux.  Crevé de mon voyage, je me suis couché tôt et le lendemain je me suis réveillé au chant du coq… littéralement. Et c’était parti, je faisais la traite – des vaches et des chèvres, je fendais du bois, j’installais des clôtures, je rangeais les champs, je triais des pommes de terre et je fendais encore du bois, il y en avait beaucoup.  Et je goûtais de la nourriture incroyablement bonne et fraîche : des fromages, yaourts et crèmes faits maison, du pain maison, du saucisson (pas maison, mais de la ferme voisine), les meilleurs pancakes du monde, je vous jure, je ne goûterais jamais plus de pancakes aussi exquis…chaque fois que je me suis assis à la table, ils m’ont fait exploser le ventre. Et même s’il y avait une barrière de langue très rigide, on s’entendait très bien. Ils étaient franchement des gens en or, tous souriants, toujours amicaux et sincères. Ils m’ont fait rencontrer leurs amis, on est allé chez des fermiers voisins pour des dîners, des petites soirées en ambiance fermière.

Deux semaines dans une ferme où on bosse bien, mange bien et vit bien, où des conversations étaient toujours facilitées par Google Translate, où la vie est simple et les gens sont simplement géniaux, m’ont appris beaucoup. La leçon la plus importante que j’en ai tiré est que le monde est immense, qu’il y a des milliards de gens, des milliards de lieux et des milliards de façons de vivre cette vie, et on y a deux choix : avoir peur/s’en ficher de cette immensité ou l’aborder. Je sais ce que j’ai choisi, et avec ceux qui choisissent pareil, je suis convaincu qu’on est sur le bon chemin pour vraiment faire du bien dans ce monde, au niveau personnel et au niveau mondial.  La route est sous nos pieds ; on y va.

Joseph Dziedziak