Le troupeau s’apprêtait à se précipiter vers les rails, les plus rapides bafouant ceux qui traînaient, les laissant seuls à faire face aux tourniquets. C’était une véritable guerre contre une opposition mystérieuse – une guerre où tous semblaient être seuls. Une guerre apparemment sans aucune alliance, aucun camarade. Une ambiance interminable, un instant perpétuel de « chacun pour soi ». En réponse à l’arrivée sonore de l’objectif à atteindre qui, d’un coup, apparaissait dans le tunnel, la foule se mobilisa instantanément, envahissant, à la vitesse d’un éclair, la plateforme du RER B direction Nord, vers Denfert Rochereau – d’après l’environnement, on aurait dit l’enfer même – vers mon premier cours à Paris. En plus, j’avais déjà 10 minutes de retard.
Dégainant ma carte Navigo pour pouvoir me confronter aux produits en évolution de la période industrielle, je suivis un membre du troupeau qui semblait, d’après sa conduite nonchalante mais ambitieuse, être quelqu’un de qualifié – un vétéran. Il passa en premier, performant avec perfection et agilité un coup de carte à la machine à laquelle il faisait face, la soumettant à ses vœux. Cet inconnu avait mérité mon respect. Je pris mon arme dans la main droite et, avec une rapidité qui se révéla inefficace en raison de mon impatience et de ma naïveté, le tourniquet ne succomba pas à mon audace et demeura plutôt barbare et résistant. Désespéré et confus, je commençai à paniquer.
Le train s’était arrêté brusquement et était prêt à accueillir le troupeau qui avait réussi à battre les diaboliques inventions humaines. Seul à être vaincu, je regardai au loin et acceptai ma défaite. En levant mes yeux, je vis que l’inconnu – sans connaître mon admiration envers lui pour sa réussite – avait remarqué ma galère. Il tenait la porte pour moi et m’apprit avec un geste comment dépasser l’imposition des machines. Je le regardai avec étonnement et reconnaissance ; un véritable guerrier chargé d’honneur.
Même si j’étais seul à lutter contre une force étrange et insurmontable, j’avais, même pour un instant qui serait bientôt épuisé, rencontré un camarade. Je me souviendrai toujours de mon frère d’armes.
Jack Rosenthal